La connaissance de la psychologie et du comportement humain au service des grands défis sociétaux

Nous sommes entré.es dans une nouvelle époque géologique, l'anthropocène, qui se caractérise par l'avènement des humains comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques. L'humanité est confrontée à des problèmes de plus en plus complexes dont l’être humain est responsable. Que peuvent faire les spécialistes des sciences cognitives face à ces problèmes ? Leur connaissance de la psychologie et du comportement humain peut-elle nous aider à changer le monde ? Ces questions ont motivé la création d’un cours sur l’utilisation des sciences cognitives - les connaissances et la méthode scientifique - pour développer des solutions dans la vie réelle.

“En 2019, lors de la création de la nouvelle majeure ingénierie cognitive au sein du Cogmaster, nous avons décidé de créer ce cours, raconte Alejandrina Cristia qui enseignait déjà depuis plusieurs années dans le cadre de ce master. "Il manquait un cours pratique qui permettrait aux étudiant.es d’expérimenter l’utilisation des sciences cognitives pour résoudre un problème.” La chercheuse a fait appel à Nawal Abboub, scientifique et entrepreneure. “J’avais l’expérience de l’enseignement et Nawal l’expérience de l’utilisation des sciences cognitives dans le monde de l’entreprise et de l'action sociale.” 

Dans sa première version, le cours accueillait de nombreux et de nombreuses intervenant.es extérieur qui venaient partager leurs expériences professionnelles. “Des interventions passionnantes et nourrissantes pour les étudiant.es qui découvraient des acteurs et des actrices de l’innovation à la fois technologique mais aussi sociale, sans toutefois avoir du temps pour vraiment expérimenter par eux/elles-même. Nous avons rapidement décidé de privilégier la mise en pratique des connaissances et de la méthodologie en sciences cognitives et avons retravaillé le format du cours”, explique Nawal Abboub.

Une préparation au monde de l’entreprise à travers la gestion de projet

Ce cours propose un apprentissage par la gestion de projet. Les étudiant.es acquièrent des connaissances et des compétences à travers le travail en équipe sur une période limitée durant laquelle ils/elles s'attaquent à une question, un problème ou un défi. “Les élèves ne vont pas apprendre des connaissances “pures”, comme ils/elles peuvent l’avoir dans des cours théoriques. Ils/elles vont devoir créer des méthodes dans un cadre que nous leur donnons et sur des thèmes que nous avons choisis, qui ont un impact sur la société : la santé, l’éducation, l’écologie, le climat, l’altruisme. C’est sur ces thèmes que les sciences cognitives ont le plus d’impact. C’est un vrai pari pour eux, pouvant déstabiliser certain.es par le fait que dans aucun autre cours, ce qu'ils font a des conséquences directes en dehors de la salle de classe. C’est un cours unique en son genre,” explique Nawal Abboub.

Les groupes sont créés par tirage au sort. “Les élèves ne se choisissent pas. L’idée est ici de recréer les conditions normales du travail au sein d’une structure où l’on est amené à collaborer avec des gens aux personnalités et aux qualités diverses et avec lesquels on doit apprendre à s’accorder” explique Alejandrina Cristia. Les co-fondatrices du cours expliquent qu’elles utilisent également les sciences cognitives pour créer une conscience d’équipe une fois les équipes créées. “Et pour cela, enchaîne la chercheuse, nous organisons un jeu compétitif. Selon leur classement, les équipes peuvent choisir leur sujet.”

Le tirage au sort permet également de maintenir une certaine interdisciplinarité. “Les élèves auraient tendance à choisir des camarades de leur majeure”, ajoute-t-elle. “Ils/elles vont devoir également développer des compétences comportementales, les soft skills, précise Nawal Abboub, les capacités de communication, de résolution de problèmes complexes, de flexibilité, ou encore de persévérance.” Les élèves apprendront également à valoriser ces soft skills auprès d’un futur employeur, dans le cadre d’un entretien d’embauche, par exemple, ou dans leur curriculum vitae.

Du laboratoire à l’entreprise, une adaptation à un nouvel environnement

“Les étudiant.es en recherche ont des compétences pour être chercheur.ses. Mais s’ils/elles veulent travailler dans une administration publique, une association, une start up, un grand groupe, continue Nawal Abboub, ils/elles vont être obligé.es de développer d’autres méthodes de travail et de savoir les présenter à un public très différent de celui de la recherche. Les étudiant.es vont apprendre à s’adapter à un environnement autre que celui du laboratoire, apprendre par exemple à travailler en groupe dans un temps limité, avec un planning bien plus serré que dans la recherche, à utiliser de nouveaux codes, et un vocabulaire adapté à un nouvel environnement professionnel, et surtout à déployer la démarche scientifique au sein de l’entreprise et trouver la méthode d’évaluation adaptée au projet sur lequel ils/elles vont travailler.

“Les élèves vont également devoir apprendre à arbitrer entre ce dont les gens ont besoin et ce que la science peut faire, ajoute Alejandrina Cristia. Identifier les limites entre ce qui est scientifiquement possible et ce qui ne l’est pas, identifier les raisons pour lesquelles on fait telle ou telle chose”.

Les étudiant.es arrivent à ce cours avec une grande curiosité. “Ils/elles ont envie de découvrir ce que l’on peut faire avec les sciences cognitives dans le monde réel. Certain.es hésitent également entre une carrière dans la recherche ou dans le monde de l’entreprise, raconte Nawal Abboub. Ce cours leur permet d’y voir plus clair et de faire un choix.” 

Un intérêt croissant des entreprises pour les sciences cognitives

Les sciences cognitives proposent une approche pluridisciplinaire centrée sur l’humain intéressante pour les entreprises qui développent ces derniers temps un intérêt croissant pour cette discipline et pour l'écosystème de la recherche. Certaines d’entre elles accueillent d’ailleurs des étudiant.es de la majeure Ingénierie cognitive dans le cadre de stages. “Nous avons noué des liens avec plusieurs entreprises dans différents secteurs (numérique, éducation, transition écologique, industriels, etc), explique Nawal Abboub, à travers les stages qui sont obligatoires pour nos étudiant.es de la majeure d’ingénierie cognitive. Nous vivons une période inédite, avec une double fenêtre d’opportunité. D’une part, les entreprises sont de plus en plus intéressées par les sciences cognitives et de leur plus value dans leur organisation. D’autres part, les étudiant.es ont un intérêt croissant pour l’impact et veulent trouver du sens. Mais ils doutent encore entre une carrière dans la recherche fondamentale ou en dehors.” Il faut aussi encourager les étudiant.es à oser aller explorer ces entreprises. “Les entreprises connaissent peu les méthodologies de recherche en sciences cognitives et dans ces entreprises, il n’y a pas systématiquement de garant.e en sciences cognitives, explique Nawal Abboub. Quand les étudiant.es arrivent, ils /elles se retrouvent parfois les seul.es garant.es des sciences cognitives, ce qui peut être stressant pour elles/eux. C’est pour cela qu’au sein de la majeure, ils/elles ont un tuteur auquel ils/elles peuvent se référer quand ils/elles doutent ou ont besoin de conseil. C’est très important qu’ils/elles ne se sentent pas seul.es. Nous sommes là pour les aider à ce que le stage se passe le mieux possible”

La jeune femme souligne également l’importance d’accompagner ce rapprochement entre ces deux secteurs très différents. “Il faut permettre aux entreprises de mieux comprendre ce que sont les sciences cognitives et ce qu’elles peuvent leur apporter et aux scientifiques de comprendre comment les entreprises fonctionnent, notamment en identifiant des intérêts communs.”

Les sciences cognitives sont en plein développement, le potentiel est très important en matière de débouchés. “Les débouchés sont concrets et réels pour les étudiant.es ! ” confirme Nawal Abboub avec enthousiasme.
 

Louis-Marie Lorin travaille dans une start up d'IA spécialisée dans le langage, Golem.ai. Dori Guzman Garcia fait une thèse CIFRE avec Aprifel, L’Agence pour la recherche et l’information en fruits et légumes. Il et elle ont suivi la filière Ingénierie Cognitive du Master de sciences cognitives de PSL. Louis-Marie et Dori partagent leur expérience.

POUR EN SAVOIR PLUS

• Neuroscientifique de formation, titulaire d’un doctorat en sciences cognitives, Nawal Abboub est spécialiste du “cerveau qui apprend”, de la naissance jusqu'à l'âge adulte. Dans son livre La puissance des bébés publié en 2022 au éditions Fayard, elle retrace les recherches les plus marquantes sur le développement du langage et partage des expériences de terrain, pour mieux connaître et comprendre le cerveau des bébés et son développement. Nawal Abboub est également cofondatrice et directrice scientifique de Rising Up, société innovante proposant des programmes de formation et de conseil adaptatifs combinant neurosciences et technologies pour permettre à toutes et à tous d'enrichir ses compétences d'adaptation : les core skills. “Rising Up est une société qui identifie et enrichit les compétences de demain telles que la capacité à gérer notre attention, nos émotions qui sont des compétences au cœur de notre intelligence, qui ont trop longtemps étaient sous exploitées”. 

• Alejandrina Cristia est directrice de recherche CNRS, spécialisée dans le développement cognitif précoce. Elle dirige une équipe sur "l'acquisition du langage à travers les cultures" au Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique de l'ENS. “Je travaille sur l’acquisition du langage et en particulier sur comment les enfants apprennent leur langue maternelle et comment ça se passe dans les milieux sociaux économiques divers, et à travers des langues qui ont des caractéristiques différentes.” En savoir plus sur les travaux de recherche d'Alejandrina Cristia.
   
• Présentation des applications des sciences cognitives au Forum des Sciences Cognitives en 2021