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Mis à jour
01 avril 2022
LNC2

Peut-on apprendre le Japonais en dormant ?

Nous savons déjà que le cerveau endormi est bien loin d’être totalement coupé du monde extérieur. La sonnerie de notre réveil nous sort d’ailleurs de notre sommeil. Cette capacité à rester attentif à son environnement peut-elle se traduire en un apprentissage de nouvelles informations qui peuvent être transmises et utilisées même après le réveil ? Cette information peut-elle également être généralisée à des modalités sensorielles non sollicitées durant l’apprentissage en sommeil ? Matthieu Koroma et Sid Kouider, chercheurs au Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique de l’ENS-PSL, en collaboration avec les scientifiques Maxime Elbaz et Damien Léger du Centre du sommeil et de la vigilance de l’APHP-Hôtel Dieu,  se sont intéressés à ces questions. Ces travaux de recherche ont été publiés le 9 mars 2022 dans la revue Frontiers in Neurosciences.  

Les chercheurs ont invité des participant.e.s à venir passer une nuit au laboratoire. Équipé.e.s d’un électroencéphalogramme, ils/elles se sont endormi.e.s tandis qu’étaient jouées, pendant leur sommeil, des associations entre des sons et des mots Japonais (par exemple un aboiement d’un chien avec le mot inu, signifiant chien). Le matin au réveil, les participant.e.s passaient un test. Ils/elles devaient choisir, parmi deux images, celle qui correspondait selon eux au mot japonais (par exemple, l’image d’une cloche et un chien pour inu), et déterminer la confiance qu’ils/elles accordaient dans leur décision.

 

Sans
Paradigme utilisé pour tester la capacité d’apprentissage du japonais pendant le sommeil

Cette expérience a mis en évidence qu’il était possible d’apprendre des mots joués pendant le sommeil lent. Néanmoins, les participant.e.s n’accordaient pas plus de confiance en leurs réponses correctes par rapport à leurs erreurs, démontrant qu’ils/elles n’étaient pas conscient.e.s de leur apprentissage. Ce type d’apprentissage, dit implicite, est très différent du type d’apprentissage dit explicite qui a lieu à l’éveil. Les chercheurs l’ont observé en réalisant le même protocole lors d’une expérience contrôle. L’apprentissage à l’éveil, s’est révélé en effet beaucoup plus efficace que pendant le sommeil (88% contre 59% de performance avec 10 fois moins de répétitions). De plus, les participant.e.s attribuaient plus de confiance à leurs réponses correctes qu’à leurs erreurs, montrant qu’ils/elles étaient conscient.e.s des informations apprises.

Les chercheurs ont également étudié plus en détail les réponses cérébrales associées aux mots présentés durant le sommeil. Ils ont observé que les oscillations lentes étaient plus fortes dans la région frontale pour les mots appris par rapport aux mots oubliés, démontrant que les réponses cérébrales peuvent prédire le succès d’un apprentissage durant le sommeil. De plus, ces signaux cérébraux se modifiaient au cours de la nuit, reflétant la progression de l’apprentissage durant le sommeil. Les ondes lentes sont des marqueurs caractéristiques du sommeil et ces travaux viennent apporter un nouvel éclairage sur la façon dont cette onde cérébrale contribue aux processus de mémorisation durant le sommeil.

Alors pourra-t-on demain tous apprendre une langue étrangère en dormant ? Les auteurs insistent sur le fait que le sommeil sert avant tout à consolider les informations apprises pendant l’éveil, phase durant laquelle l’apprentissage est beaucoup plus efficace. Ainsi, une véritable complémentarité existe entre l’éveil et le sommeil, l’éveil permettant d’acquérir rapidement des nouvelles connaissances de façon consciente et le sommeil permettant de les intégrer progressivement dans un réseau plus vaste de connaissance de façon inconsciente. Ces travaux viennent néanmoins affiner la distinction entre ces deux types de processus, démontrant qu’il est tout de même possible d’apprendre des informations complexes durant le sommeil et de les conserver pour les utiliser de manière flexible une fois réveillé. Ce type d’apprentissage dépend-il des phases de sommeil ? Est-ce que des différences entre les individus existent dans ces capacités d’apprentissage ? Ces questions restent ouvertes et suscitent des nouvelles pistes de recherche pour mieux comprendre les processus d’apprentissage durant le sommeil.
 

Koroma Matthieu, Elbaz Maxime, Léger Damien, Kouider Sid (2022). Learning New Vocabulary Implicitly During Sleep Transfers With Cross-Modal Generalization Into Wakefulness. Frontiers in Neuroscience, 16, 10.3389/fnins.2022.801666    

Contact : Matthieu Koroma - matthieu.koroma@gmail.com